Rythme jonctionnel (rythme d’échappement) et tachycardie jonctionnelle
Rythmes d’origine jonctionnelle, survenant à proximité du nœud auriculo-ventriculaire
Dans ce chapitre, nous aborderons les rythmes prenant naissance au sein du nœud auriculo‑ventriculaire (AV) ou à proximité immédiate de celui‑ci. Le rythme le plus fréquemment observé dans cette région est le rythme jonctionnel, également désigné sous le terme de rythme d’échappement jonctionnel. La tachycardie jonctionnelle, bien que possible, demeure moins courante. Une compréhension préalable des mécanismes de l’automatisme cardiaque et des principales arythmies facilitera l’interprétation des informations présentées.
Comme indiqué au chapitre 1, le nœud auriculo‑ventriculaire ne possède pas d’automatisme intrinsèque, c’est‑à‑dire qu’il ne génère pas spontanément de potentiels d’action en conditions physiologiques normales. Toutefois, il peut occasionnellement émettre des impulsions, soit à partir de ses propres structures, soit à partir de cellules périnodales. Il convient de souligner les points suivants :
- Des cellules dotées d’un automatisme intrinsèque sont présentes à proximité du nœud auriculo-ventriculaire. Elles possèdent la capacité de se dépolariser spontanément et peuvent ainsi jouer le rôle de stimulateurs cardiaques latents, prenant le relais lorsque les impulsions auriculaires n’atteignent pas le nœud auriculo-ventriculaire.
- Les cellules du nœud auriculo-ventriculaire peuvent, dans certaines conditions pathologiques telles qu’une ischémie myocardique, initier spontanément des impulsions électriques.
Dans les deux situations précédemment décrites, l’impulsion prend naissance au niveau de la jonction atrioventriculaire. Les battements et rythmes ectopiques issus de cette région sont qualifiés respectivement de battements jonctionnels et de rythmes jonctionnels. L’activation atriale se propage alors en direction rétrograde, ce qui explique l’inversion de l’onde P. Dans la majorité des cas, cette onde P n’est pas visible, car la dépolarisation simultanée des oreillettes et des ventricules masque son tracé : l’activité ventriculaire (complexe QRS) prédomine sur l’ECG. Lorsque l’activation atriale précède celle des ventricules, une onde P rétrograde peut être observée dans les dérivations II, III et aVF, précédant le complexe QRS. À l’inverse, si l’activation ventriculaire survient avant l’activation atriale, l’onde P rétrograde (visible dans les mêmes dérivations) apparaît immédiatement après le complexe QRS.
Battements jonctionnels et rythme d’origine jonctionnelle
Le rythme jonctionnel peut se manifester dans les circonstances cliniques suivantes :
- En l’absence d’impulsion sinusale normale, comme lors d’un arrêt sinusal, les cellules périnodales situées autour du nœud auriculo‑ventriculaire peuvent générer des impulsions. Moins de trois battements consécutifs issus de cette activité sont qualifiés de battements jonctionnels (ou battements d’échappement jonctionnels). Trois battements jonctionnels consécutifs ou plus définissent un rythme jonctionnel (ou rythme d’échappement jonctionnel). Ce dernier se caractérise par une régularité du rythme et une fréquence comprise entre 40 et 60 battements par minute. En cas d’arrêt sinusal, ou dans toute situation où les impulsions auriculaires n’atteignent pas le nœud auriculo‑ventriculaire, le rythme d’échappement jonctionnel peut assurer une activité cardiaque minimale compatible avec la survie.
- En cas de bloc auriculo-ventriculaire complet (bloc AV du troisième degré), l’interruption de la conduction peut survenir à tout niveau entre le nœud auriculo-ventriculaire et la bifurcation du faisceau de His. Si des cellules dotées d’un automatisme sont situées en aval du site du bloc, un rythme d’échappement peut se déclencher à partir de ces foyers. Par exemple, lorsqu’un bloc complet siège au niveau du nœud auriculo-ventriculaire, les cellules du faisceau de His, qui conservent leur automatisme, ne reçoivent plus l’influx auriculaire et initient alors spontanément des potentiels d’action, générant un rythme d’échappement. Sur l’ECG de surface, cela se traduit par un rythme d’échappement jonctionnel. Toutefois, la fréquence cardiaque observée à l’ECG ne permet pas de distinguer de manière fiable un rythme d’échappement issu du nœud auriculo-ventriculaire de celui provenant du faisceau de His.
- Chez les athlètes bien entraînés, un tonus vagal marqué peut réduire l’automaticité du nœud sinusal au point de permettre aux cellules de la jonction atrioventriculaire d’initier un rythme d’échappement, phénomène généralement asymptomatique et bénin.
Critères électrocardiographiques du rythme jonctionnel
- Rythme ventriculaire régulier, avec une fréquence comprise entre 40 et 60 battements par minute.
- Présence d’une onde P rétrograde, située avant ou après le complexe QRS, ou absence d’onde P discernable.
- Le complexe QRS présente généralement une morphologie normale, sauf en présence d’un trouble concomitant de la conduction intraventriculaire.
La figure 1 (ci-dessous) illustre deux tracés ECG montrant un rythme d’échappement jonctionnel.

Traitement des battements et du rythme jonctionnel
Le rythme jonctionnel symptomatique se traite par l’administration d’atropine, selon les mêmes posologies et alternatives thérapeutiques que celles recommandées pour la prise en charge de la bradycardie en général.
Tachycardie jonctionnelle
La tachycardie jonctionnelle résulte d’une automaticité anormale du nœud auriculo-ventriculaire, des cellules périnodales ou des cellules du faisceau de His. Elle est rare chez l’adulte et le sujet âgé, mais relativement fréquente chez l’enfant. Chez l’adulte et le sujet âgé, on parle de tachycardie jonctionnelle non paroxystique (TJNP), tandis que chez l’enfant, il s’agit le plus souvent d’une tachycardie ectopique jonctionnelle (TECJ).
La tachycardie jonctionnelle non paroxystique (TJNP) peut être induite par une ischémie myocardique, un surdosage en digoxine ou en théophylline, une stimulation excessive par les catécholamines, des troubles électrolytiques ou une périmyocardite.
Comme pour les autres battements et rythmes jonctionnels, l’onde P est généralement rétrograde (ou non visible). Toutefois, si l’impulsion jonctionnelle n’est pas conduite de manière rétrograde, les oreillettes peuvent conserver un rythme indépendant ; on parle alors de dissociation auriculo-ventriculaire (dissociation AV), caractérisée par l’absence de relation fixe entre les rythmes auriculaire et ventriculaire. Ce type de dissociation AV se distingue aisément de celle observée dans le bloc auriculo-ventriculaire complet (bloc AV du troisième degré) : dans ce dernier cas, la fréquence auriculaire est supérieure à la fréquence ventriculaire, alors qu’elle est inférieure dans le contexte décrit ici.
Il peut être particulièrement difficile de distinguer une tachycardie jonctionnelle d’une tachycardie par réentrée nodale atrioventriculaire (TRNAV).
Traitement de la tachycardie jonctionnelle
L’objectif principal est de traiter la cause sous-jacente et/ou d’interrompre l’administration des médicaments potentiellement déclencheurs. La cardioversion électrique est inefficace et doit être évitée, car elle peut être proarythmogène chez les patients traités par digoxine. Lorsque l’étiologie de l’arythmie demeure indéterminée ou que celle-ci persiste après l’arrêt des médicaments en cause, il est recommandé d’instaurer successivement un traitement par amiodarone, puis par bêta-bloquants, et enfin par inhibiteurs calciques.