Mécanismes des arythmies cardiaques : de l’automaticité à la réentrée
Mécanismes des arythmies cardiaques : de l’automaticité à la réentrée
Cette section décrit les arythmies les plus fréquemment observées en pratique clinique, en débutant par une analyse des mécanismes physiopathologiques sous-jacents. Bien qu’une connaissance exhaustive de ces mécanismes ne soit pas indispensable à l’ensemble des cliniciens, il est pertinent de maîtriser les concepts fondamentaux. L’arythmogenèse y est présentée de manière synthétique, avant que les chapitres suivants ne développent en détail les différentes entités arythmiques.
Les arythmies cardiaques peuvent être subdivisées en plusieurs catégories :
- Bradyarythmies (bradycardies) : troubles du rythme cardiaque généralement liés à un dysfonctionnement de l’automatisme des cellules pacemaker ou à une interruption de la conduction des impulsions électriques à un niveau quelconque du système de conduction cardiaque.
- Tachyarythmie supraventriculaire : trouble du rythme cardiaque rapide résultant de décharges électriques anormales prenant leur origine dans le tissu auriculaire ou au niveau de la jonction auriculo-ventriculaire.
- Tachyarythmies ventriculaires : arythmies rapides d’origine ventriculaire, caractérisées par une fréquence cardiaque élevée résultant d’impulsions ectopiques générées au sein du myocarde ventriculaire.
Cette classification constitue un outil précieux pour le diagnostic différentiel et la prise en charge des arythmies. Étant donné que la gestion des arythmies, en particulier des tachyarythmies, est souvent jugée complexe, des chapitres distincts sont consacrés à leur diagnostic et à leur traitement. Les recommandations présentées dans cette section sont conformes aux lignes directrices de la Société Européenne de Cardiologie (ESC), de l’American Heart Association (AHA) et de l’American College of Cardiology (ACC).
Définition du rythme cardiaque
Le rythme cardiaque correspond à la succession régulière ou irrégulière des dépolarisations myocardiques, générées par le système de conduction cardiaque, et se traduisant sur l’électrocardiogramme par une séquence ordonnée d’ondes et d’intervalles reflétant l’activité électrique du cœur.
Un rythme cardiaque est défini par la présence d’au moins trois complexes consécutifs présentant des morphologies d’ondes identiques sur l’ECG, ce qui traduit une origine commune de l’activité électrique. Dans des conditions physiologiques, le nœud sinusal (nœud sino-auriculaire, SA) constitue le stimulateur cardiaque principal, et le rythme observé est alors qualifié de rythme sinusal.
Une arythmie se définit comme une anomalie du rythme ou de la fréquence cardiaque, non justifiée sur le plan physiologique. Ce critère est essentiel, car un rythme physiologiquement approprié ne doit pas être considéré comme pathologique. Par exemple, la bradycardie sinusale — rythme lent initié par le nœud sinusal — est fréquente chez les athlètes et durant le sommeil ; dans ces situations, elle ne revêt pas de caractère anormal. En revanche, l’apparition d’une bradycardie sinusale au cours d’un effort physique est pathologique, la fréquence cardiaque devant normalement s’élever pendant l’exercice.
Mécanismes des arythmies cardiaques
Les mécanismes physiopathologiques des arythmies cardiaques sont actuellement élucidés à un rythme soutenu, faisant de l’arythmologie un champ de recherche particulièrement dynamique. Cette progression est en partie attribuable aux avancées de l’imagerie cardiaque et des techniques électrophysiologiques invasives, qui permettent une analyse détaillée in vivo des troubles du rythme. Toutefois, le présent chapitre se concentre sur les aspects cliniques de l’arythmologie, afin d’offrir au lecteur une compréhension solide des arythmies les plus fréquentes. Pour une analyse approfondie des mécanismes sous-jacents, le lecteur est invité à se référer à l’ouvrage de Zipes et al.
Principales étiologies des arythmies cardiaques
Les arythmies surviennent lorsque la formation de l’impulsion électrique, sa conduction, ou les deux, présentent des anomalies. Ces mécanismes seront examinés en détail dans les sections suivantes.
Formation anormale de l’impulsion électrique
Une formation anormale des impulsions peut induire des arythmies par l’un ou l’autre des deux mécanismes suivants :
- Augmentation ou anomalie de l’automatisme cardiaque
- Activité déclenchée
Augmentation ou anomalie de l’automatisme cardiaque
Comme indiqué au chapitre 1, plusieurs structures cardiaques présentent un automatisme, c’est‑à‑dire la capacité intrinsèque à se dépolariser spontanément. Ces structures comprennent notamment :
- Le nœud sinusal (nœud sino-auriculaire, SA) constitue le principal centre d’automatisme cardiaque. En conditions physiologiques, il génère et impose le rythme sinusal, qui assure la coordination normale de l’activité électrique et mécanique du cœur.
- Parties du myocarde auriculaire : certains groupes de cellules myocardiques auriculaires, localisés notamment autour de la crista terminalis, à proximité de l’ostium du sinus coronaire et de la veine cave inférieure, ainsi qu’au voisinage des valves mitrale et tricuspide, présentent une activité automatique. Bien qu’il ne s’agisse pas de cellules spécialisées du système de conduction, mais de cellules contractiles dotées d’un automatisme, cette propriété n’est donc pas exclusive aux cellules du tissu nodal ou du réseau de conduction.
- Myocarde périnodal auriculo-ventriculaire : Il est fréquemment admis, à tort, que le nœud auriculo-ventriculaire (AV) possède une automaticité intrinsèque, alors qu’aucune preuve scientifique solide ne vient étayer cette hypothèse. En revanche, des données expérimentales et cliniques suggèrent que des groupes de cellules situés dans le myocarde entourant le nœud AV présentent une activité automatique. Par souci de simplification terminologique, cette automaticité sera désignée, dans le présent texte, comme « automaticité du nœud AV », malgré la précision apportée.
- Le réseau de His-Purkinje : le faisceau de His ainsi que l’ensemble des fibres de Purkinje possèdent une automaticité intrinsèque.
Ce sont les pacemakers physiologiques du cœur, ces structures présentant une automaticité, c’est-à-dire la capacité intrinsèque à se dépolariser spontanément en l’absence de toute stimulation externe. Le rythme intrinsèque de dépolarisation spontanée de ces structures pacemakers est le suivant :
- Nœud sinusal : fréquence de dépolarisation d’environ 70 par minute.
- Myocarde auriculaire : environ 60 dépolarisations par minute.
- Cellules périnodales auriculo-ventriculaires : environ 40 dépolarisations par minute.
- Réseau de His-Purkinje : fréquence intrinsèque de dépolarisation de 20 à 40 impulsions par minute.
Le nœud sinusal constitue le pacemaker primaire du cœur en raison de son automatisme intrinsèque le plus rapide. Le rythme cardiaque est déterminé par le pacemaker le plus rapide, car celui-ci se dépolarise avant les foyers concurrents, réinitialisant ainsi leur activité avant qu’ils ne puissent initier un potentiel d’action. Par ailleurs, l’automatisme diminue progressivement à mesure que l’on s’éloigne du nœud sinusal, phénomène désigné sous le terme de hiérarchie des stimulateurs cardiaques.
Le nœud sinusal peut devenir dysfonctionnel et cesser de se dépolariser. Bien que cette situation puisse théoriquement conduire à un arrêt cardiaque, cela reste rare, car l’absence d’activité du nœud sinusal permet à l’un des autres foyers d’automatisme cardiaque de prendre le relais. C’est pour cette raison que ces foyers sont qualifiés de stimulateurs latents. Tout rythme se substituant au rythme sinusal est désigné sous le terme de rythme d’échappement. En cas de dysfonctionnement du nœud sinusal, le rythme d’échappement provient le plus souvent du myocarde auriculaire, qui présente la deuxième fréquence de dépolarisation spontanée la plus élevée. Si le myocarde auriculaire est également incapable de générer des potentiels d’action, le rythme d’échappement proviendra probablement des cellules situées à proximité du nœud auriculo-ventriculaire, et ainsi de suite. Il convient de noter que le myocarde ventriculaire ne possède normalement pas d’automatisme.
L’automaticité du nœud sinusal s’accroît au cours de l’exercice physique. Cette augmentation constitue une réponse physiologique normale, car le débit cardiaque doit s’élever pour répondre aux besoins métaboliques accrus. Il s’agit donc d’un exemple d’augmentation physiologique de l’automaticité. Toutefois, dans certaines situations, l’automaticité du nœud sinusal, ainsi que celle des autres foyers cardiaques latents, peut s’accroître en l’absence de toute stimulation physiologique. En voici quelques exemples :
- L’automaticité du nœud sinusal peut s’accroître en l’absence de stimulus physiologique identifiable, entraînant l’apparition d’une tachycardie sinusale au repos, désignée sous le terme de tachycardie sinusale inappropriée.
- L’augmentation de l’automaticité des foyers pacemakers latents peut survenir, par exemple, en situation d’hypoxie, lorsque ces foyers déchargent des potentiels d’action à une fréquence supérieure à celle du nœud sinusal, prenant ainsi le contrôle du rythme cardiaque.
- Les cellules de Purkinje situées en périphérie de la zone ischémique, lors d’une ischémie myocardique aiguë ou d’un infarctus du myocarde, peuvent présenter une augmentation de leur automatisme et induire une tachycardie ventriculaire.
Comme mentionné précédemment, le myocarde ventriculaire ne présente pas d’automaticité, tout comme la majeure partie du myocarde auriculaire. Toutefois, dans certaines conditions pathologiques, même ces cellules peuvent initier la dépolarisation et générer des potentiels d’action.
En d’autres termes, toute cellule peut acquérir un automatisme anormal et provoquer des extrasystoles (battements supplémentaires) et des arythmies. De nombreuses conditions peuvent provoquer un automatisme anormal, par exemple l’ischémie myocardique, l’hypokaliémie, la digoxine, l’hypoxie, les maladies pulmonaires, les perturbations du système nerveux autonome, etc. Ces conditions provoquent un automatisme anormal en modifiant le potentiel de membrane au repos de la cellule, en le rapprochant du seuil de dépolarisation.
Activité déclenchée (postdépolarisations)
Un potentiel d’action peut induire une post-dépolarisation, c’est-à-dire une dépolarisation survenant pendant ou après la phase de repolarisation. Lorsqu’elle se produit au cours de la repolarisation, on parle de dépolarisation précoce, tandis que si elle survient après la repolarisation, il s’agit d’une dépolarisation tardive (figure 1). Ces dépolarisations, qu’elles soient précoces ou tardives, peuvent atteindre une amplitude suffisante pour franchir le seuil de déclenchement d’un nouveau potentiel d’action. Autrement dit, les post-dépolarisations peuvent initier des potentiels d’action dits « déclenchés ». Ces potentiels d’action déclenchés sont susceptibles de provoquer des extrasystoles, c’est-à-dire des battements cardiaques prématurés survenant entre deux battements normaux.
Les dépolarisations précoces sont le plus souvent observées en situation de bradycardie, d’hypokaliémie, d’hypoxie, d’acidose, d’hypocalcémie ou encore lors d’effets indésirables médicamenteux. Les dépolarisations tardives surviennent principalement en cas de surdosage en digoxine ou sous l’effet d’une stimulation sympathique accrue.
Il convient de souligner que les post‑dépolarisations peuvent générer des extrasystoles, mais ne sont pas, à elles seules, responsables d’arythmies persistantes. Toutefois, ces extrasystoles peuvent déclencher un autre mécanisme arythmogène, tel qu’une réentrée (voir ci‑dessous), susceptible, lui, d’induire des arythmies durables.

Conduction anormale de l’influx : phénomène de réentrée (reentry)
La transmission physiologique de l’influx électrique cardiaque implique que l’onde de dépolarisation se propage rapidement, de manière homogène et sans obstacle à travers le myocarde. Pour cela, l’ensemble des cellules situées en amont de l’onde doivent être en état d’excitabilité et présenter une capacité uniforme de conduction. Ce n’est que dans ces conditions que la dépolarisation peut se propager dans le myocarde à la manière d’un front d’onde se diffusant dans l’eau. En revanche, si l’influx rencontre des cellules inexcitables ou des zones de conductivité hétérogène, un phénomène de réentrée peut survenir.
Il est essentiel de comprendre le mécanisme de la réentrée, car il est à l’origine de la majorité des arythmies nécessitant une prise en charge thérapeutique. Bien que ce processus soit relativement complexe, il peut être appréhendé plus aisément à l’aide d’une illustration. Reportez-vous à la figure 2 et examinez-la attentivement. Comme l’illustre cette figure, la réentrée correspond à la propagation d’un front d’onde de dépolarisation qui circule de manière continue autour d’un circuit fermé. Il s’agit d’une véritable boucle électrique, ce phénomène étant classiquement désigné sous le terme de « mouvement de cirque ».

La réentrée survient lorsque l’onde de dépolarisation rencontre une zone de bloc unidirectionnel (« blocage central » dans la figure 2) qui ne peut être franchie que dans un seul sens. L’impulsion contourne alors cette zone, progresse autour de l’obstacle et revient vers la région initialement bloquée. Si, à son arrivée, cette zone (en bleu sur la figure 2) a recouvré son excitabilité, l’onde de dépolarisation la traverse. Le front d’onde peut ainsi poursuivre un circuit fermé tant qu’il rencontre du tissu excitable. Ce phénomène, de type « mouvement en circuit », est généralement très rapide et émet de manière répétée des impulsions dépolarisantes vers le myocarde environnant. Le circuit de réentrée entraîne ainsi une activation myocardique à une fréquence très élevée.
Les conditions préalables à la réentrée sont illustrées à la figure 2. Une brève explication en est donnée ci‑après :
- Il doit exister une voie myocardique électriquement connectée, constituant un circuit fermé au sein duquel une impulsion électrique peut se propager de manière répétitive. Toute cellule cardiaque apte à générer un potentiel d’action peut contribuer à ce circuit, dont le diamètre peut varier de quelques millimètres à plusieurs dizaines de centimètres.
- Il est essentiel que les cellules myocardiques constituant le circuit présentent des propriétés de conduction électrique hétérogènes. Cette hétérogénéité, liée à des différences de réfractarité, de conductivité et/ou d’excitabilité, peut entraîner un blocage de l’influx entrant.
- Le circuit doit s’organiser autour d’un noyau central de tissu incapable de se dépolariser, constituant ainsi un « bloc central ». Ce noyau non excitable peut être formé de myocarde nécrosé, de tissu cicatriciel fibreux ou de structures anatomiques telles que les anneaux fibreux des valves cardiaques.
Les circuits de réentrée peuvent être classés en deux catégories : fonctionnels et anatomiques. Cette distinction, bien que pertinente sur le plan physiopathologique, n’est généralement pas déterminante pour la prise en charge clinique.
Réentrée anatomique
Les explications précédemment exposées s’appliquent spécifiquement à la réentrée anatomique. Dans ce type de mécanisme, l’obstacle central est constitué de structures anatomiques bien définies. Par exemple, le flutter auriculaire, tachyarythmie par réentrée, survient lorsque l’onde d’activation circule autour de l’anneau tricuspide. Dans ce cas, la valve tricuspide constitue la barrière centrale au sein du circuit (le tissu valvulaire étant inexcitable), et le trajet de réentrée implique le myocarde adjacent entourant la valve.
La réentrée anatomique est fixe, ce qui signifie que son emplacement et la vitesse de conduction du circuit restent constants. Il s’agit d’un mécanisme de réentrée stable, pouvant entraîner des épisodes de flutter auriculaire persistant pendant plusieurs heures, voire plusieurs jours. La majorité des tachycardies ventriculaires — en particulier celles issues du réseau de His-Purkinje ainsi que les formes post-infarctus — relèvent également d’un mécanisme de réentrée anatomique.
Réentrée fonctionnelle
La réentrée fonctionnelle est plus complexe à appréhender, car le bloc central et le circuit qui l’entoure sont difficiles à définir sur le plan anatomique. Ce phénomène résulte de l’hétérogénéité électrophysiologique du myocarde, caractérisée par des variations de réfractarité, de conductivité et/ou d’excitabilité. Lorsqu’une impulsion traverse une zone présentant une telle hétérogénéité, elle peut rencontrer un bloc fonctionnel, être déviée et, au cours de son premier cycle, générer un front d’onde émettant des impulsions à la fois vers l’extérieur et vers l’intérieur du circuit. Le myocarde est alors soumis à un bombardement d’impulsions, ce qui le rend globalement réfractaire.
Les circuits de réentrée fonctionnelle sont de petite taille, instables, et susceptibles de générer d’autres circuits de réentrée. Ce mécanisme joue un rôle central dans la genèse de la fibrillation auriculaire et de la fibrillation ventriculaire.
Signification clinique
La réentrée constitue la cause la plus fréquente des arythmies supraventriculaires et ventriculaires nécessitant une prise en charge thérapeutique. La majorité des cas de flutter auriculaire sont liés à un mécanisme de réentrée, lequel joue également un rôle central dans la genèse de la fibrillation auriculaire. Ce phénomène peut aussi survenir au niveau du nœud sino-auriculaire ou du nœud auriculo-ventriculaire. Chez les patients présentant une cardiopathie ischémique, la tachycardie ventriculaire est le plus souvent secondaire à un circuit de réentrée.
Fin de la réentrée
Le circuit de réentrée s’interrompt lorsque le front d’onde rencontre un tissu réfractaire, c’est-à-dire constitué de cellules temporairement incapables de se dépolariser. Pour se maintenir, le front d’onde doit continuellement progresser à travers un tissu excitable ; s’il atteint une zone non excitable, sa propagation cesse. L’objectif d’un choc électrique délivré au cœur, par exemple lors d’une tachycardie ventriculaire, est de dépolariser simultanément l’ensemble des cellules excitables, y compris celles participant au circuit de réentrée, de sorte que le front d’onde se heurte à un tissu réfractaire et que l’arythmie soit interrompue.