Physiologie de l’exercice : de la réponse normale à l’ischémie myocardique et à la douleur thoracique
Principes physiologiques de l’épreuve d’effort, ischémie myocardique et symptômes ischémiques
Il est essentiel de comprendre les principes de base de la physiologie de l’exercice pour réaliser, interpréter et évaluer correctement une épreuve d’effort. L’exercice physique représente un stress physiologique majeur qui induit des adaptations systémiques rapides et coordonnées, incluant l’augmentation de la ventilation minute, la vasodilatation des lits vasculaires musculaires et coronariens, ainsi que l’élévation de la pression artérielle systémique. Le but ultime de ces changements est de permettre au système cardio-pulmonaire d’augmenter son apport d’oxygène ($DO_2$) aux muscles squelettiques en activité et au myocarde.
La consommation d’oxygène ($VO_2$) – et donc la demande en oxygène – augmente linéairement et parallèlement à l’intensité de l’exercice jusqu’à atteindre un plateau ($VO_2max$). Les adaptations physiologiques deviennent plus prononcées à mesure que l’intensité de l’exercice s’accroît. Le système nerveux autonome joue le rôle de chef d’orchestre initial : il réagit instantanément en réduisant l’activité parasympathique (vagal) et en augmentant l’activité sympathique (adrénergique). Cette modulation neuro-hormonale a des effets multiples sur la contractilité, la fréquence et la résistance vasculaire.
Cet article traite de la physiologie intégrative de l’exercice, en mettant l’accent sur la consommation d’oxygène du myocarde ($MVO_2$), le concept de réserve coronaire et le développement de la cascade ischémique. Les modifications de l’ECG sont brièvement mentionnées ici pour le contexte physiopathologique (une discussion approfondie sur les critères diagnostiques ECG est présentée dans l’article suivant).
Effets physiologiques de l’exercice
La réponse cardiovasculaire à l’effort vise à augmenter le débit cardiaque (Qc) pour répondre aux besoins métaboliques périphériques. Les principaux mécanismes régulateurs sont détaillés ci-dessous.
Les fibres parasympathiques (nerf vague) innervent de façon prédominante le nœud sinusal (SA) et le nœud auriculo-ventriculaire (AV). Au repos, le tonus vagal prédomine. La stimulation parasympathique réduit l’automaticité du nœud sinusal par hyperpolarisation cellulaire, ce qui diminue la fréquence cardiaque. Elle ralentit également la conduction dans le nœud AV (allongement de l’intervalle PR). Ainsi, le début de l’exercice se caractérise par le retrait rapide du frein vagal (inhibition parasympathique), entraînant une augmentation immédiate de la fréquence cardiaque et une facilitation de la transmission des impulsions dans le nœud AV.
Les fibres sympathiques innervent l’ensemble du cœur, y compris le myocarde auriculaire et ventriculaire. L’activation sympathique, médiée par la noradrénaline et l’adrénaline circulante, exerce plusieurs effets via les récepteurs bêta-adrénergiques : un effet inotrope positif (augmentation de la contractilité et du volume d’éjection), un effet chronotrope positif (augmentation de la fréquence cardiaque au-delà des niveaux atteints par le simple retrait vagal), un effet dromotrope positif (accélération de la conduction) et un effet bathmotrope positif (abaissement du seuil d’excitabilité). De plus, l’effet lusitrope positif (accélération de la relaxation ventriculaire) est crucial pour maintenir un remplissage diastolique adéquat à haute fréquence. Ainsi, l’augmentation de l’activité sympathique est le moteur principal de la performance cardiaque lors d’efforts soutenus.
«
L’exercice physique augmente le retour veineux vers le cœur, ce qui entraîne une augmentation de la précharge ventriculaire. Ce phénomène est essentiel pour maintenir le volume d’éjection systolique malgré la réduction du temps de remplissage diastolique (tachycardie). Les mécanismes sont les suivants :
- L’activité sympathique provoque une veinoconstriction splanchnique et périphérique, mobilisant le volume sanguin des réservoirs veineux capacitifs vers la circulation centrale.
- La « pompe musculaire » des membres inférieurs propulse mécaniquement le sang veineux vers le cœur lors des contractions rythmiques.
- La « pompe respiratoire » : l’augmentation de la profondeur respiratoire crée une pression intrathoracique plus négative, ce qui aspire le sang vers le cœur droit et augmente le volume sanguin pulmonaire, favorisant ensuite le remplissage ventriculaire gauche.
L’augmentation de la précharge entraîne une augmentation de l’étirement des fibres myocardiques, ce qui, selon la loi de Frank-Starling, augmente la force de contraction. Cependant, contrairement au cœur isolé, in vivo, le mécanisme de Frank-Starling est fortement amplifié par les effets inotropes positifs de la stimulation sympathique. L’augmentation combinée du volume d’éjection systolique (VES) et de la fréquence cardiaque (FC) entraîne une augmentation massive du débit cardiaque (Qc = VES × FC).
La pression artérielle systolique augmente linéairement avec l’effort, reflétant l’augmentation du débit cardiaque. En revanche, la résistance vasculaire systémique (RVS) diminue considérablement grâce à une vasodilatation métabolique massive dans les muscles squelettiques actifs. La pression artérielle diastolique dépend de l’équilibre entre le débit cardiaque et la chute des résistances périphériques ; elle reste généralement stable ou baisse légèrement (jusqu’à 10 mmHg) car la vasodilatation périphérique l’emporte ou compense le retour veineux. La pression artérielle moyenne (PAM) augmente modérément, assurant une pression de perfusion adéquate aux organes vitaux.
L’augmentation du débit cardiaque au cours d’un exercice modéré résulte d’une contribution équilibrée du volume d’éjection systolique et de la fréquence cardiaque. Cependant, lorsque 40 à 50 % de la capacité aérobie maximale est atteinte, le volume systolique atteint un plateau (sauf chez les athlètes de très haut niveau). Dès lors, toute augmentation supplémentaire du débit cardiaque dépend presque exclusivement de l’accélération de la fréquence cardiaque. Comme le montre la figure 1, le débit cardiaque peut être multiplié par cinq ou six (passant de 5 L/min à 25-30 L/min) au cours d’un exercice d’intensité maximale.

Le retrait de l’activité parasympathique et l’augmentation de l’activité sympathique provoquent une redistribution majeure du flux sanguin. Une vasoconstriction alpha-adrénergique touche les artères rénales, les artères splanchniques (abdominales) et les territoires non actifs. Le volume sanguin est ainsi « volé » aux organes viscéraux pour être redirigé vers les muscles squelettiques, le cœur et le cerveau. Dans ces tissus actifs, la régulation locale l’emporte sur la vasoconstriction sympathique : l’accumulation de métabolites locaux (adénosine, $H^+$, $K^+$, $CO_2$) et la production d’oxyde nitrique (NO) endothélial provoquent une vasodilatation puissante. En fin de compte, la résistance vasculaire périphérique totale diminue pendant l’exercice, facilitant l’éjection ventriculaire gauche.
Capacité fonctionnelle et consommation d’oxygène ($VO_2$)
La capacité fonctionnelle est souvent exprimée en équivalents métaboliques (METs). Un MET correspond à la consommation d’oxygène au repos, soit environ 3,5 ml $O_2$/kg/min. Lors de l’épreuve d’effort, la capacité de travail maximale atteinte est un puissant prédicteur pronostique. Une capacité fonctionnelle inférieure à 5 METs est associée à un pronostic sombre, tandis qu’une capacité supérieure à 10 METs est corrélée à un excellent taux de survie, quelle que soit la pathologie sous-jacente.
Fréquence cardiaque pendant l’épreuve d’effort
La fréquence cardiaque doit augmenter dès le début de l’exercice, initialement par retrait vagal, puis par stimulation sympathique. La réponse normale est une augmentation quasi linéaire avec la charge de travail (environ 10 battements/min par MET). L’incapacité à atteindre 85 % de la fréquence cardiaque maximale théorique (calculée généralement par 220 – âge) en l’absence de traitement bradycardisant (comme les bêta-bloquants) est définie comme une incompétence chronotrope. Ce phénomène est un marqueur indépendant de mortalité cardiovasculaire et peut refléter une dysfonction du nœud sinusal ou une dysautonomie.
La fréquence cardiaque diminue rapidement au cours de la première minute de récupération (récupération de la fréquence cardiaque), principalement due à la réactivation vagale. Une diminution de la FC inférieure à 12 battements/min à la première minute de récupération active (ou < 18 bpm en récupération passive) est associée à un risque accru de mortalité, reflétant un déséquilibre du système nerveux autonome.
Réponse de la pression artérielle pendant l’épreuve d’effort
La pression artérielle systolique (PAS) doit augmenter régulièrement pendant l’exercice. Une réponse normale implique une élévation de la PAS > 10 mmHg par palier. Pratiquement tous les patients sains présentent une pression artérielle systolique supérieure à 150 mmHg au pic de l’effort. Une réponse hypertensive est généralement définie par une PAS > 210 mmHg chez l’homme ou > 190 mmHg chez la femme. À l’inverse, une chute de la pression artérielle systolique (> 10 mmHg) ou une incapacité à augmenter la PAS malgré l’augmentation de la charge de travail est un signe de gravité extrême. Cela suggère une dysfonction ventriculaire gauche sévère (ischémie étendue, cardiomyopathie) ou une obstruction à l’éjection (sténose aortique) et constitue une indication absolue d’arrêt de l’épreuve.
La pression artérielle diastolique (PAD) reste inchangée ou peut baisser légèrement. Une augmentation de la PAD > 10-15 mmHg ou une valeur absolue > 90 mmHg à l’effort est considérée comme anormale et peut refléter une maladie coronarienne sévère ou une hypertension labile.
Métabolisme myocardique et ischémie
Il est essentiel de comprendre les principes du métabolisme du myocarde pour saisir la physiopathologie de l’ischémie. Le cœur est un organe aérobie strict : au repos, il extrait déjà près de 75 % de l’oxygène délivré par les artères coronaires (contre 25 % pour les muscles squelettiques). Par conséquent, le myocarde ne dispose d’aucune « réserve d’extraction » significative. Toute augmentation de la demande en oxygène doit donc être satisfaite par une augmentation proportionnelle du débit sanguin coronaire.
L’ischémie myocardique survient lorsque la demande en oxygène du myocarde ($MVO_2$) dépasse l’apport en oxygène. Ce déséquilibre entre l’offre et la demande peut être dû à une réduction de l’apport (athérosclérose, thrombose, spasme) ou à une augmentation excessive de la demande (tachycardie sévère, hypertrophie ventriculaire). Les principaux déterminants de la consommation d’oxygène du myocarde sont :
- La fréquence cardiaque (déterminant majeur)
- La tension pariétale (déterminée par la pression intra-ventriculaire et le volume/rayon du ventricule – Loi de Laplace)
- La contractilité myocardique (inotropisme)
- La masse myocardique
La demande en oxygène est positivement corrélée à chacun de ces facteurs. En clinique, la mesure directe de la contractilité et de la tension pariétale est impossible. Le double produit (ou produit fréquence-pression) fournit une estimation fiable et non invasive de la $MVO_2$ :
Produit Fréquence-Pression (Double Produit) = Fréquence Cardiaque (bpm) × Pression Artérielle Systolique (mmHg)
Lors d’une épreuve d’effort diagnostique, l’objectif est d’obtenir un double produit d’au moins 25 000 (ou > 85% de la fréquence maximale théorique), ce qui garantit que le stress imposé au myocarde est suffisant pour démasquer une ischémie potentielle.
| Réponse hémodynamique (charge de travail) | Double Produit (RPP – Rate Pressure Product) |
|---|---|
| Élevé | > 30 000 |
| Intermédiaire élevé | 25 000 – 30 000 |
| Intermédiaire | 20 000 – 25 000 |
| Intermédiaire faible | 15 000 – 20 000 |
| Faible | 10 000 – 15 000 |
«
Le concept de Réserve de Flux Coronaire (RFC)
Dans des circonstances normales, grâce à l’autorégulation artériolaire, le débit sanguin coronaire peut augmenter de 4 à 5 fois par rapport aux valeurs de repos pour répondre à l’effort : c’est la réserve de flux coronaire. L’ischémie myocardique stable est causée par une sténose coronarienne qui limite cette capacité de vasodilatation.
Au repos, une sténose coronaire, même serrée (jusqu’à 85-90% de diamètre), ne provoque pas nécessairement d’ischémie car la dilatation des artérioles d’aval (résistance) compense la résistance ajoutée par la sténose, maintenant ainsi un débit de repos normal. Cependant, à l’effort, lorsque le lit vasculaire est déjà dilaté au maximum pour compenser la sténose, il ne reste plus de réserve vasodilatatrice (la RFC est épuisée). Dès que la demande en oxygène augmente, le débit ne peut plus suivre linéairement, créant l’ischémie. C’est pourquoi les symptômes (angor) apparaissent généralement à un seuil d’effort reproductible (seuil ischémique fixe).
Ischémie myocardique : Théories physiopathologiques
La compréhension de l’ischémie a évolué depuis les travaux pionniers d’Eugene Braunwald. Deux concepts clés méritent d’être distingués concernant la réponse du myocarde à la privation d’oxygène :
- Déséquilibre Offre/Demande : C’est le mécanisme classique de l’angor d’effort (angor stable). L’augmentation de la demande ($MVO_2$) bute sur une offre plafonnée par une sténose fixe.
- Régulation métabolique à la baisse (« Downregulation ») : Dans certaines situations d’ischémie sévère ou prolongée, le myocarde adapte sa fonction pour survivre.
- Le Myocarde « Hibernant » : En cas de réduction chronique sévère du débit sanguin au repos, le myocarde réduit sa contractilité pour faire correspondre sa demande à la faible offre. Le tissu reste viable mais akinétique (immobile). La revascularisation peut restaurer la fonction.
- Le Myocarde « Sidéré » (Stunning) : Après un épisode ischémique aigu transitoire (ex: angor instable ou post-revascularisation), le myocarde peut rester dysfonctionnel mécaniquement pendant des heures ou des jours, bien que le flux sanguin soit rétabli. Il ne s’agit pas d’un manque d’oxygène persistant, mais d’une anomalie biochimique post-ischémique.
Cette distinction est cruciale : lors de l’épreuve d’effort, nous recherchons principalement l’ischémie induite par le déséquilibre offre/demande, qui se traduit par des modifications électriques et cliniques transitoires.
«
Nous renvoyons les lecteurs intéressés à
– G Heusch, Myocardial Ischemia. Circ Res, 2016
– E Braunwald, Limitation de la taille de l’infarctus et théorie de l’artère ouverte. Circulation, 2016.
Néanmoins, il est clair que la sévérité anatomique de la sténose est grossièrement corrélée au seuil ischémique, bien que cette relation soit complexe. Plusieurs facteurs modifient l’impact fonctionnel d’une sténose :
- La circulation collatérale : Des vaisseaux collatéraux bien développés peuvent maintenir une perfusion adéquate même en aval d’une occlusion complète, prévenant l’ischémie de repos voire d’effort.
- Localisation de la sténose : Une lésion proximale de l’IVA (Interventriculaire Antérieure) menace une masse myocardique bien plus importante qu’une lésion distale d’une artère diagonale, entraînant une ischémie plus sévère et plus risquée.
- Tvasomotricité paradoxale : Les segments artériels dysfonctionnels peuvent se contracter (vasoconstriction) au lieu de se dilater lors de l’exercice ou du stress émotionnel, aggravant la sténose dynamique.
- La longueur de la sténose : Pour un même diamètre minimal, une sténose longue engendre une perte de charge (chute de pression) plus importante qu’une sténose courte, selon les lois de l’hémodynamique des fluides.
La cascade ischémique : de l’ischémie aux modifications de l’ECG et à la douleur thoracique
L’ischémie myocardique n’est pas un événement « tout ou rien », mais un processus séquentiel et temporel appelé cascade ischémique. Comprendre cette séquence est fondamental car les outils diagnostiques (échocardiographie de stress, scintigraphie, ECG d’effort) détectent l’ischémie à différents stades de cette cascade.
Un fait clinique majeur doit être retenu : l’angor est un signe tardif et inconstant. Les patients surveillés par Holter rapportent que jusqu’à 60-70 % des épisodes de sous-décalage du segment ST dans la vie quotidienne sont asymptomatiques (ischémie silencieuse). Cependant, la présence de modifications ECG précède presque toujours les symptômes.
La figure 2 (ci-dessous) illustre la cascade ischémique. Étudiez attentivement cette figure, car elle explique la chronologie des anomalies détectables.

La séquence chronologique typique lors de l’induction d’une ischémie (par exemple, lors d’une épreuve d’effort) est la suivante :
- Altérations métaboliques : Quelques secondes après le déséquilibre offre/demande, la phosphorylation oxydative mitochondriale ralentit. La cellule passe au métabolisme anaérobie, entraînant une diminution de la production d’ATP, une accumulation de protons ($H^+$) et de lactate.
- Dysfonction Diastolique : La relaxation du ventricule gauche est un processus actif qui consomme de l’énergie (ATP) pour recapturer le calcium. Le manque d’ATP perturbe ce processus précocement. Le ventricule devient plus rigide (« stiff »), entraînant une augmentation des pressions de remplissage. C’est le signe mécanique le plus précoce.
- Dysfonction Systolique : Si l’ischémie persiste, la capacité de contraction diminue. On observe une hypokinésie régionale, voire une akinésie. C’est ce que détecte l’échocardiographie de stress.
- Modifications de l’ECG : Les perturbations ioniques transmembranaires (notamment la sortie de potassium) altèrent les potentiels d’action, créant des gradients de voltage entre zones saines et ischémiques. Cela se traduit sur l’ECG de surface par des modifications du segment ST (généralement un sous-décalage lors de l’effort) et de l’onde T.
- Symptômes cliniques (Angor) : L’accumulation de métabolites (adénosine, bradykinine) stimule les terminaisons nerveuses sensitives, provoquant la douleur thoracique ou ses équivalents (dyspnée). C’est l’événement final.
En résumé :
- L’absence de douleur thoracique n’exclut absolument pas l’ischémie (surtout chez les diabétiques et les personnes âgées).
- Les techniques d’imagerie (écho, scintigraphie) sont plus sensibles que l’ECG car elles détectent des événements plus précoces dans la cascade.
- L’ECG d’effort reste cependant un outil précieux car les modifications électriques précèdent les symptômes subjectifs.