Dérivations de l’électrocardiogramme : principes fondamentaux et applications cliniques
- Fondements électrophysiologiques des dérivations de l’électrocardiogramme
- Électrocardiogramme (ECG) à 12 dérivations
- Grille de l’ECG
- Dérivation des tracés électrocardiographiques
- Plans anatomiques et dérivations électrocardiographiques
- Principes des dérivations périphériques
- Les dérivations électrocardiographiques I, II et III
- Les dérivations électrocardiographiques aVR, aVL et aVF
- Les dérivations thoraciques (dérivations précordiales)
- Présentation des dérivations de l’électrocardiogramme
- Dérivations électrocardiographiques supplémentaires
- Systèmes alternatifs de dérivation électrocardiographique
- Système de dérivations ECG selon la méthode de Mason-Likar
- Systèmes de dérivations ECG réduites
- Dérivations EASI
Avant d’aborder les dérivations électrocardiographiques (ECG) et les différents systèmes de dérivation, il convient de préciser la distinction entre électrodes et dérivations. Une électrode est un capteur conducteur appliqué à la surface cutanée, permettant de détecter les potentiels électriques générés par l’activité cardiaque. Une dérivation ECG correspond à la représentation graphique de cette activité électrique, obtenue par l’analyse combinée des signaux recueillis par plusieurs électrodes. En d’autres termes, chaque dérivation est calculée à partir des différences de potentiel mesurées entre deux points définis par un ensemble d’électrodes. L’ECG standard, dit « à 12 dérivations » car il comporte 12 tracés distincts, est enregistré à l’aide de 10 électrodes. Ces 12 dérivations se répartissent en deux groupes : les dérivations des membres et les dérivations thoraciques, également appelées dérivations précordiales. Le présent chapitre décrit en détail les dérivations ECG et ne requiert aucune connaissance préalable. Il convient de noter que l’usage des termes anglais « unipolar leads » et « bipolar leads » est déconseillé, car toutes les dérivations ECG sont fondamentalement bipolaires, reposant sur la comparaison des potentiels électriques entre deux sites de mesure.
Fondements électrophysiologiques des dérivations de l’électrocardiogramme
Le déplacement des particules chargées génère un courant électrique. En électrocardiographie, ces particules correspondent principalement aux ions intracellulaires et extracellulaires, tels que le sodium (Na⁺), le potassium (K⁺) et le calcium (Ca²⁺). Le passage de ces ions à travers les membranes cellulaires permet les phases de dépolarisation et de repolarisation, tandis que leur transfert intercellulaire via les jonctions communicantes (gap junctions) assure la propagation coordonnée de l’onde de dépolarisation au sein du tissu myocardique.
Des différences de potentiel électrique apparaissent lorsque l’influx électrique se propage à travers le myocarde. En électrocardiographie, la différence de potentiel correspond à la variation de voltage mesurée entre deux points distincts, généralement représentés par des électrodes cutanées. Ainsi, l’ECG enregistre la différence de potentiel détectée entre deux électrodes (ou plus), reflétant l’activité électrique cardiaque.
La discussion précédente a montré comment les phénomènes de dépolarisation et de repolarisation génèrent des courants électriques. Il a également été précisé que ces courants sont transmis jusqu’à la surface cutanée, les tissus et les fluides entourant le cœur — et, plus largement, l’ensemble du corps humain — se comportant comme des conducteurs électriques. En plaçant des électrodes à la surface de la peau, il est possible de capter ces signaux électriques. L’électrocardiographe (ECG) compare, amplifie et filtre les différences de potentiel enregistrées par les électrodes, puis restitue les résultats sous forme de dérivations électrocardiographiques. Chaque dérivation est représentée par un tracé graphique, parfois désigné sous le terme de courbe.
Électrocardiogramme (ECG) à 12 dérivations
De nombreux systèmes et configurations de dérivations électrocardiographiques ont été évalués, mais l’électrocardiogramme (ECG) standard à 12 dérivations demeure le format de référence et celui dont la maîtrise est la plus essentielle. L’ECG à 12 dérivations offre des capacités diagnostiques remarquables pour l’identification des anomalies électriques et ischémiques. Il convient de souligner que la majorité des critères électrocardiographiques recommandés — notamment ceux relatifs au diagnostic de l’infarctus aigu du myocarde — ont été établis et validés à partir de ce format standard.
L’électrocardiogramme (ECG) à 12 dérivations enregistre, comme son nom l’indique, douze tracés distincts à partir de dix électrodes. Trois de ces dérivations sont dites bipolaires et résultent de la comparaison directe des potentiels électriques entre deux électrodes : l’une joue le rôle d’électrode exploratrice et l’autre celui d’électrode de référence. Les neuf autres dérivations, dites unipolaires, utilisent une électrode exploratrice unique, tandis que l’électrode de référence correspond à une combinaison de deux ou trois électrodes, formant un point de référence électrique virtuel.
À tout moment du cycle cardiaque, l’ensemble des dérivations de l’ECG enregistre les mêmes phénomènes électriques, mais selon des axes d’observation différents. Ainsi, des dérivations présentant des orientations similaires affichent généralement des tracés comparables. Dans certaines situations cliniques, comme le diagnostic de certaines arythmies, il n’est pas toujours nécessaire d’examiner l’ensemble des dérivations, car l’analyse de quelques-unes peut suffire à établir le diagnostic. En revanche, l’évaluation de modifications morphologiques, telles que celles observées en cas d’ischémie myocardique ou d’hypertrophie ventriculaire, gagne en précision avec l’augmentation du nombre de dérivations analysées. L’ECG standard à 12 dérivations représente un compromis optimal entre sensibilité, spécificité et faisabilité. Il est évident que l’utilisation de 120 dérivations — approche évaluée dans plusieurs études sur l’infarctus aigu du myocarde — améliorerait la sensibilité pour de nombreuses affections, mais au prix d’une diminution de la spécificité et d’une faisabilité réduite. Les chapitres suivants détailleront les raisons pour lesquelles l’analyse de multiples dérivations est indispensable au diagnostic de nombreuses altérations morphologiques.
Grille de l’ECG
L’électrocardiographe enregistre un tracé distinct pour chaque dérivation. Sur ce tracé, l’axe vertical (Y) représente la tension, tandis que l’axe horizontal (X) correspond au temps. Le papier millimétré de l’ECG est structuré en petites cases délimitées par des lignes fines et en grandes cases délimitées par des lignes épaisses. Chaque petite case mesure 1 mm², et cinq petites cases constituent une grande case. Voir figure 15.
Avec un gain standard (étalonnage) de l’ECG, une déflexion de 10 mm sur l’axe vertical correspond à 1 mV, soit 1 mm équivalant à 0,1 mV. L’amplitude d’une onde ou d’une déflexion se mesure du sommet (positif ou négatif) jusqu’à la ligne de base, également appelée ligne isoélectrique.
La vitesse standard du papier d’ECG est généralement de 25 mm/s ou 50 mm/s (une vitesse de 10 mm/s peut être utilisée pour des enregistrements de longue durée). Tous les électrocardiographes modernes permettent de modifier aisément la vitesse de défilement, et ce paramètre n’influence pas l’interprétation diagnostique de l’ECG, bien qu’une vitesse de 50 mm/s offre une meilleure définition des ondes. Toute personne souhaitant maîtriser l’analyse de l’ECG doit être capable d’interpréter les tracés quelle que soit la vitesse utilisée. La figure 15 illustre les différences entre les vitesses de 50 mm/s et 25 mm/s ; il convient de l’examiner attentivement, en portant une attention particulière aux variations sur l’axe des abscisses (aucune différence n’existe sur l’axe des ordonnées). Dans ce chapitre, les tracés ECG seront présentés aux vitesses de 25 mm/s et 50 mm/s.

Comme l’illustre la figure 15 :
- À une vitesse de défilement de 50 mm/s, une petite case de 1 mm sur le papier millimétré correspond à 0,02 seconde (20 millisecondes).
- À une vitesse de défilement de 25 mm/s, une petite case de 1 mm sur le papier millimétré correspond à une durée de 0,04 seconde (40 millisecondes).
- À une vitesse de défilement de 50 mm/s, une grande case de 5 mm correspond à 0,1 seconde (100 millisecondes).
- Une grande case de 5 mm sur le papier millimétré de l’ECG correspond à 0,20 seconde (200 millisecondes) lorsque la vitesse d’enregistrement est réglée à 25 mm/s.
Il est essentiel que le lecteur maîtrise ces distinctions, car la mesure manuelle des différentes ondes et intervalles sur l’ECG est fréquemment requise pour une interprétation diagnostique précise.
Dérivation des tracés électrocardiographiques
Chaque dérivation correspond à la mesure d’une différence de potentiel électrique entre deux points de l’espace. Les dérivations les plus simples utilisent uniquement deux électrodes. L’électrocardiographe désigne l’une comme électrode exploratrice (positive) et l’autre comme électrode de référence (négative). Dans la majorité des dérivations, toutefois, l’électrode de référence résulte d’une combinaison de deux ou trois électrodes. Quelle que soit la configuration de l’électrode exploratrice et de l’électrode de référence, l’orientation des vecteurs exerce le même effet sur la morphologie du tracé ECG : un vecteur dirigé vers l’électrode exploratrice génère une onde ou déflexion positive, tandis qu’un vecteur orienté en sens opposé produit une déflexion négative. Voir figure 16.

Plans anatomiques et dérivations électrocardiographiques
L’activité électrique cardiaque peut être analysée dans les plans horizontal et frontal. La capacité d’une dérivation à détecter des vecteurs dans un plan donné dépend de son orientation par rapport à ce plan, elle-même déterminée par la position de l’électrode exploratrice et par le point de référence.
À des fins pédagogiques, considérons une dérivation dont l’une des électrodes est placée sur la tête et l’autre sur le pied gauche. L’axe de cette dérivation serait vertical, orienté de la tête vers les pieds. Cette dérivation, située dans le plan frontal, détectera principalement les vecteurs de dépolarisation se déplaçant dans ce plan (voir figure 17, panneau A). Considérons maintenant une dérivation avec une électrode placée sur le sternum et l’autre sur le dos, au même niveau horizontal. Cette dérivation, orientée du dos vers la paroi thoracique antérieure, correspond au plan horizontal et enregistrera principalement les vecteurs se déplaçant dans ce plan (voir figure 15 et figure 17, panneau B).

Les six dérivations des membres (I, II, III, aVR, aVL et aVF) possèdent une électrode exploratrice et un point de référence situés dans le plan frontal, ce qui les rend particulièrement adaptées à la détection des vecteurs électriques se déplaçant dans ce plan. Les dérivations thoraciques (précordiales) (V1 à V6) disposent quant à elles d’électrodes exploratrices placées sur la paroi antérieure du thorax, avec un point de référence virtuel situé au centre du cœur, ce qui les rend optimales pour l’analyse des vecteurs se déplaçant dans le plan horizontal.
Comme indiqué précédemment, seules trois dérivations — à savoir I, II et III, correspondant aux dérivations bipolaires des membres décrites initialement par Willem Einthoven — sont obtenues à partir de deux électrodes uniquement. Les neuf autres dérivations reposent sur une référence constituée de la moyenne des potentiels enregistrés par deux ou trois électrodes. Ce point sera précisé ultérieurement.

Principes des dérivations périphériques
Les dérivations I, II, III, aVF, aVL et aVR sont obtenues à partir de trois électrodes placées respectivement sur le bras droit, le bras gauche et la jambe gauche. En raison de la position de ces électrodes par rapport au cœur, elles enregistrent principalement l’activité électrique dans le plan frontal. La figure 18 illustre le schéma de connexion des électrodes permettant d’obtenir ces six dérivations.
Pour illustrer le principe de dérivation des électrodes périphériques, les dérivations I et aVF seront utilisées à titre d’exemples.
En dérivation I, l’électrode placée sur le bras droit sert de référence, tandis que celle placée sur le bras gauche constitue l’électrode exploratrice. Ainsi, un vecteur de dépolarisation se déplaçant de la droite vers la gauche génère une déflexion positive dans cette dérivation. La dérivation I correspond à un angle de 0° dans le plan frontal (figure 18, système de coordonnées, panneau supérieur), ce qui signifie qu’elle « observe » l’activité électrique cardiaque sous cet angle. En pratique clinique, on considère que la dérivation I explore principalement la paroi latérale du ventricule gauche. Les mêmes principes s’appliquent aux dérivations II et III.
Dans la dérivation aVF, l’électrode placée sur la jambe gauche agit comme électrode exploratrice, tandis que l’électrode de référence correspond à la moyenne des potentiels enregistrés par les électrodes des deux bras. Cette moyenne se situe virtuellement à la verticale, au nord, par rapport à l’électrode de la jambe gauche. Par conséquent, tout vecteur de dépolarisation se dirigeant vers le bas du thorax génère une onde positive en aVF. L’angle d’observation de cette dérivation sur l’activité électrique cardiaque est de +90° (figure 18). En pratique clinique, on considère que la dérivation aVF « explore » principalement la paroi inférieure du ventricule gauche. Les mêmes principes s’appliquent aux dérivations aVR et aVL.
Les dérivations II, III et aVF sont désignées comme dérivations des membres inférieurs, car elles explorent principalement la paroi inférieure du ventricule gauche (figure 18, système de coordonnées dans le panneau supérieur). Les dérivations I, aVL et –aVR sont qualifiées de dérivations des membres latéraux, car elles analysent principalement la paroi latérale du ventricule gauche. Il convient de noter que la dérivation aVR diffère de la dérivation –aVR (voir ci‑dessous).
Les six dérivations des membres sont représentées dans un système de coordonnées, comme illustré sur le côté droit de la figure 18 (panneau A). Chaque dérivation est espacée de 30°, à l’exception de l’intervalle entre les dérivations I et II. Pour corriger cet écart, la dérivation aVR peut être inversée afin d’obtenir la dérivation –aVR. Cette inversion présente un intérêt pratique, car elle facilite l’interprétation de l’ECG, notamment pour l’analyse de l’ischémie myocardique et de l’axe électrique. Le choix entre l’affichage de aVR ou de –aVR varie selon les traditions nationales : aux États‑Unis, l’aVR est plus couramment utilisée, tandis que dans d’autres contextes, l’option –aVR est privilégiée. Les appareils ECG modernes permettent l’affichage des deux configurations, et l’utilisation de –aVR est généralement recommandée pour optimiser l’interprétation. Dans tous les cas, le clinicien peut aisément passer de aVR à –aVR sans modifier les réglages de l’appareil, simplement en inversant la courbe enregistrée.
Les dérivations électrocardiographiques I, II et III
Les dérivations I, II et III enregistrent la différence de potentiel électrique entre deux électrodes. La dérivation I compare le bras gauche (électrode exploratrice) au bras droit, ce qui correspond à une observation du cœur depuis la gauche, à un angle de 0° (voir figure 18). La dérivation II compare la jambe gauche (électrode exploratrice) au bras droit, offrant une vue du cœur selon un angle de 60°. Enfin, la dérivation III compare la jambe gauche (électrode exploratrice) au bras gauche, permettant une observation du cœur sous un angle de 120° (figure 18).
Les dérivations I, II et III correspondent aux dérivations bipolaires standards initialement décrites par Wilhelm Einthoven. Leur disposition spatiale forme le triangle d’Einthoven au niveau du thorax, comme illustré dans la figure 18, panneau B.
Selon la loi de Kirchhoff, la somme algébrique des courants dans un circuit fermé est nulle. En considérant le triangle d’Einthoven comme un circuit électrique, cette règle s’y applique également, ce qui conduit à l’énoncé de la loi d’Einthoven :

Cette loi stipule que la somme des potentiels électriques enregistrés en dérivations I et III est égale à ceux mesurés en dérivation II. En pratique électrocardiographique, cela signifie, par exemple, que l’amplitude de l’onde R en dérivation II correspond à la somme des amplitudes des ondes R en dérivations I et III. Il en découle que la connaissance des données de deux dérivations permet de reconstituer avec précision le tracé de la troisième. Ainsi, ces trois dérivations fournissent deux informations fondamentales, observées selon trois axes différents.
Les dérivations électrocardiographiques aVR, aVL et aVF
Ces dérivations ont été initialement décrites par Goldberger. Dans ce système, le potentiel enregistré par l’électrode exploratrice est comparé à une référence correspondant à la moyenne des potentiels mesurés par les deux autres électrodes des membres. La lettre « a » signifie « augmenté », « V » désigne la tension (voltage), « R » le bras droit (right arm), « L » le bras gauche (left arm) et « F » le pied (foot).
Dans la dérivation aVR, l’électrode exploratrice est placée sur le bras droit, tandis que l’électrode de référence correspond à la moyenne des potentiels enregistrés au bras gauche et à la jambe gauche. La dérivation aVR peut être représentée sous forme inversée, appelée dérivation –aVR, dans laquelle les positions du point d’exploration et du point de référence sont interchangées, produisant ainsi un tracé identique à celui de l’aVR mais inversé. L’utilisation de la dérivation –aVR présente trois avantages :
- La dérivation –aVR occupe une position intermédiaire dans le système de coordonnées électrocardiographique, comblant l’intervalle entre les dérivations I et II.
- La dérivation –aVR facilite l’évaluation de l’axe électrique cardiaque.
- La dérivation –aVR peut améliorer la détection de l’ischémie ou de l’infarctus aigu, notamment dans les territoires inférieur et latéral.
Malgré ses avantages, la dérivation aVR reste encore couramment utilisée aux États-Unis et dans de nombreux autres pays. Tous les électrocardiographes modernes peuvent toutefois être configurés pour afficher soit l’aVR, soit l’inversion −aVR. Nous recommandons l’utilisation de la dérivation −aVR ; toutefois, pour les besoins de cette discussion, les deux seront présentées. Si une seule de ces dérivations est disponible, il suffit d’inverser la polarité pour obtenir la vue correspondante. Il convient enfin de souligner que très peu de diagnostics électrocardiographiques reposent spécifiquement sur l’analyse de la dérivation aVR ou −aVR.
Dans la dérivation aVL, l’électrode placée sur le bras gauche est l’électrode exploratrice, et cette dérivation permet d’observer le cœur selon un angle d’environ –30°. Dans la dérivation aVF, l’électrode exploratrice est située sur la jambe gauche, offrant une visualisation du cœur selon un axe vertical inférieur, correspondant à une vue depuis le bas.
Comme les dérivations unipolaires des membres décrites par Goldberger utilisent les mêmes électrodes que les dérivations bipolaires d’Einthoven, il n’est pas surprenant qu’elles soient liées par une relation mathématique précise. Les équations correspondantes sont les suivantes :

Il en résulte que l’onde observée sur l’ECG en dérivation aVF correspond, à tout instant, à la moyenne des déviations enregistrées en dérivations II et III. Par conséquent, les dérivations aVR (ou -aVR), aVL et aVF peuvent être déduites des dérivations I, II et III. Elles ne fournissent donc pas d’informations supplémentaires, mais offrent plutôt des perspectives angulaires différentes sur les mêmes données électriques.
Aspects anatomiques des dérivations périphériques
- Les dérivations II, aVF et III, dites dérivations des membres inférieurs (ou dérivations inférieures), explorent principalement la paroi inférieure du ventricule gauche.
- aVL, I et –aVR : ces dérivations frontales, dites latérales des membres, explorent principalement la paroi latérale du ventricule gauche.
Les dérivations thoraciques (dérivations précordiales)

Frank Wilson et ses collaborateurs ont mis au point le terminal central, ultérieurement désigné sous le nom de terminal central de Wilson (WCT). Ce point de référence théorique est situé approximativement au centre du thorax, plus précisément au centre du triangle d’Einthoven. Le WCT est obtenu en reliant, par l’intermédiaire de résistances électriques, les trois électrodes des membres à un terminal commun. Il correspond à la moyenne des potentiels électriques enregistrés par ces électrodes. Dans des conditions idéales, la somme de ces potentiels est nulle, conformément à la loi de Kirchhoff. Le WCT sert de référence pour chacune des six électrodes précordiales placées sur la paroi thoracique antérieure. Les dérivations précordiales sont obtenues en comparant le potentiel électrique mesuré par chaque électrode thoracique à celui du WCT. Il existe ainsi six électrodes précordiales et, par conséquent, six dérivations correspondantes (figure 19). Chaque dérivation précordiale fournit des informations spécifiques qui ne peuvent être déduites mathématiquement des autres. L’électrode exploratrice et l’électrode de référence étant situées dans le plan horizontal, ces dérivations analysent principalement les vecteurs d’activation cardiaque se déplaçant dans ce plan.
Positionnement des électrodes thoraciques (précordiales)
- V1 : placé au quatrième espace intercostal, immédiatement à droite du bord sternal.
- V2 : électrode placée au quatrième espace intercostal, sur la ligne parasternale gauche.
- V3 : positionnée sur la ligne médiane entre les dérivations V2 et V4.
- V4 : au quatrième espace intercostal gauche, sur la ligne médioclaviculaire.
- V5 : placé au même niveau horizontal que V4, sur la ligne axillaire antérieure.
- V6 : électrode positionnée au même niveau horizontal que V4 et V5, sur la ligne axillaire moyenne.
Il est recommandé de raser les poils de la paroi thoracique avant la pose des électrodes, afin d’optimiser la conductivité cutanée et d’améliorer la qualité de l’enregistrement électrocardiographique.
Aspects anatomiques des dérivations précordiales
- V1 et V2 (dérivations septales) explorent principalement l’activité électrique du septum interventriculaire, mais peuvent occasionnellement refléter des modifications provenant du ventricule droit. Il convient de noter qu’aucune des dérivations standard de l’ECG à 12 dérivations ne permet une analyse spécifique et isolée des vecteurs issus du ventricule droit.
- V3–V4 (dérivations précordiales antérieures) : explorent principalement la paroi antérieure du ventricule gauche.
- V5 et V6 (dérivations latérales gauches) explorent principalement la paroi latérale du ventricule gauche.
La figure 20 présente la vue combinée de l’ensemble des dérivations d’un électrocardiogramme à 12 dérivations.

Présentation des dérivations de l’électrocardiogramme
Les dérivations de l’ECG peuvent être présentées soit dans l’ordre d’enregistrement standard (I, II, III, aVR, aVL, aVF, V1 à V6), soit selon leur orientation anatomique. L’ordre chronologique ne tient pas compte du fait que les dérivations aVL, I et –aVR explorent le cœur sous un angle similaire, et que leur juxtaposition facilite l’interprétation diagnostique. Le système de Cabrera, qui organise les dérivations en fonction de leur orientation anatomique, est à privilégier. Dans ce système, les dérivations des membres inférieurs (II, aVF, III) sont regroupées, tout comme celles des territoires latéraux et les dérivations précordiales. Comme mentionné précédemment, l’inversion de la dérivation aVR en –aVR améliore encore la lisibilité et la précision diagnostique. La plupart des électrocardiographes modernes permettent l’affichage selon le système de Cabrera, qui devrait être adopté de manière systématique. L’ECG ci-dessous illustre cette disposition, avec aVR inversée en –aVR, mettant en évidence une transition nette entre les morphologies des dérivations adjacentes.

Dérivations électrocardiographiques supplémentaires
L’électrocardiogramme standard à 12 dérivations peut ne pas détecter certaines affections cardiaques, notamment certaines formes d’ischémie myocardique ou d’arythmies localisées. Des études ont validé l’ajout de dérivations supplémentaires afin d’améliorer la sensibilité et la précision diagnostique.
Ischémie ou infarctus du ventricule droit : dérivations ECG V3R, V4R, V5R et V6R
L’infarctus du ventricule droit est une entité clinique rare, généralement observée en cas d’occlusion proximale de l’artère coronaire droite. Les dérivations standard de l’ECG à 12 pistes ne permettent le plus souvent pas d’établir ce diagnostic avec certitude. Toutefois, les dérivations V1 et V2 peuvent parfois révéler des anomalies évocatrices d’une ischémie localisée au ventricule droit. Dans ce contexte, il est recommandé d’enregistrer des dérivations supplémentaires du côté droit du thorax. Les dérivations V3R, V4R, V5R et V6R sont positionnées aux mêmes repères anatomiques que leurs homologues du côté gauche. Voir figure 22.

Ischémie ou infarctus postérolatéral : dérivations ECG V7, V8 et V9
En cas d’ischémie myocardique aiguë ou d’infarctus du myocarde, l’élévation du segment ST (décrite plus en détail ultérieurement) constitue un signe électrocardiographique majeur, traduisant généralement une ischémie transmurale étendue. Ces élévations ischémiques du segment ST s’accompagnent fréquemment de dépressions du segment ST dans les dérivations qui enregistrent le vecteur lésionnel sous un angle opposé. Ces dernières sont qualifiées de dépressions réciproques du segment ST, car elles représentent l’image en miroir des élévations observées. Du fait de l’orientation physiologique du cœur, incliné d’environ 30° vers la gauche dans le thorax (figure 23), la portion basale de la paroi latérale du ventricule gauche est située en position postérieure, d’où l’appellation de paroi postéro-latérale. L’activité électrique provenant de cette région (indiquée par une flèche sur la figure 23) est difficilement détectable par les dérivations précordiales standards, mais des modifications réciproques, notamment des dépressions du segment ST, sont souvent visibles en V1 à V3. Pour mettre en évidence les élévations postérieures du segment ST, il est recommandé de placer les dérivations supplémentaires V7, V8 et V9 sur la face dorsale du patient.
Veuillez noter que l’infarctus du ventricule droit ainsi que l’infarctus postéro-latéral seront traités en détail dans une section ultérieure.

Systèmes alternatifs de dérivation électrocardiographique
Le positionnement conventionnel des électrodes peut s’avérer sous-optimal dans certaines circonstances. Ainsi, des électrodes placées distalement sur les membres peuvent enregistrer un excès d’artéfacts musculaires lors d’une épreuve d’effort, tandis que des électrodes positionnées sur la paroi thoracique peuvent être inadaptées en contexte de réanimation ou lors d’un examen échocardiographique. Divers travaux ont exploré des sites alternatifs de pose ainsi que la possibilité de réduire le nombre d’électrodes sans perte significative d’information. En règle générale, des systèmes comportant moins de dix électrodes permettent encore de reconstituer l’ensemble des dérivations de l’ECG standard à 12 dérivations. Les tracés ainsi obtenus présentent une morphologie très proche de celle des enregistrements originaux, avec seulement quelques variations mineures susceptibles d’influencer les amplitudes et les intervalles.
En règle générale, les systèmes à dérivations modifiées permettent de détecter efficacement les arythmies. Toutefois, il convient de faire preuve de prudence lorsqu’ils sont utilisés pour évaluer des anomalies morphologiques, telles que l’ischémie myocardique, dont le diagnostic repose sur des critères précis d’amplitude et d’intervalle. En effet, le positionnement alternatif des électrodes peut modifier ces paramètres et conduire à des critères ECG faussement positifs ou faussement négatifs. Dans le contexte d’une ischémie myocardique, une variation d’un millimètre peut avoir des conséquences potentiellement fatales.
Les systèmes de dérivation à nombre réduit d’électrodes restent couramment utilisés pour la détection des épisodes ischémiques chez les patients hospitalisés. En effet, dans le cadre d’une surveillance électrocardiographique continue — c’est-à-dire l’évaluation des variations du tracé au cours du temps — l’ECG initial revêt une importance limitée. L’intérêt principal réside dans l’analyse de la dynamique des modifications électrocardiographiques, l’enregistrement de départ n’ayant qu’une valeur secondaire.
Système de dérivations ECG selon la méthode de Mason-Likar
Le système de dérivation de Mason-Likar consiste à repositionner les électrodes des membres sur le tronc. Il est couramment utilisé pour la surveillance électrocardiographique, qu’il s’agisse du dépistage et du suivi des arythmies ou de la détection d’ischémie myocardique. Ce positionnement est également privilégié lors des épreuves d’effort, car il réduit les artéfacts liés à l’activité musculaire des membres. Comme mentionné précédemment, l’enregistrement initial peut présenter de légères différences d’amplitude des ondes par rapport à l’ECG standard à 12 dérivations, ce qui le rend moins fiable pour le diagnostic d’une ischémie myocardique aiguë. En revanche, le système de Mason-Likar est adapté au suivi évolutif de l’ischémie, les variations du segment ST-T par rapport à la ligne de base constituant des indicateurs pertinents. Voir figure 24A.
Placement des électrodes
Les électrodes des membres supérieurs (bras gauche et bras droit) sont positionnées sur le tronc, environ 2 cm sous la clavicule, dans la région infraclaviculaire (figure 24A). L’électrode du membre inférieur gauche est placée sur la ligne axillaire antérieure, entre la crête iliaque et la dernière côte. L’électrode du membre inférieur droit peut être positionnée au-dessus de la crête iliaque homolatérale. L’emplacement des électrodes précordiales reste inchangé.
Systèmes de dérivations ECG réduites
Comme mentionné précédemment, il est possible de reconstituer mathématiquement un électrocardiogramme à 12 dérivations à partir de moins de 10 électrodes. En règle générale, les dérivations obtenues par calcul produisent des tracés ECG dont les morphologies sont très proches de celles enregistrées avec un ECG conventionnel à 12 dérivations, bien que de légères différences puissent persister. Les systèmes de dérivations mathématiques les plus couramment utilisés sont les systèmes de Frank et EASI.
Les dérivations de Frank.
Le système de Frank est le plus répandu parmi les systèmes de dérivations réduites. Il utilise sept électrodes (figure 22B) permettant d’obtenir trois dérivations orthogonales (X, Y et Z), employées en cardiographie vectorielle (VCG). Le terme « orthogonal » indique que ces dérivations sont perpendiculaires entre elles, offrant ainsi une représentation tridimensionnelle du vecteur cardiaque au cours du cycle cardiaque. Les vecteurs sont représentés sous forme de diagrammes en boucles distinctes pour les ondes P, QRS, T et U. Il est possible d’approximer un ECG à 12 dérivations à partir d’un enregistrement VCG, et inversement. Toutefois, la VCG a perdu de son intérêt clinique au cours des dernières décennies, en raison de sa faible spécificité diagnostique pour la majorité des pathologies cardiovasculaires. La VCG ne sera donc pas développée davantage dans ce chapitre.
Placement des électrodes
Les électrodes sont positionnées horizontalement au niveau du cinquième espace intercostal.
- L’électrode A est positionnée sur la ligne médio-axillaire gauche.
- La dérivation C est positionnée entre les électrodes E et A.
- L’électrode H est positionnée au niveau du cou.
- L’électrode E est positionnée sur le sternum.
- L’électrode I est positionnée au centre de l’arcade sourcilière droite.
- L’électrode M est positionnée sur la colonne vertébrale.
- L’électrode repérée par la lettre F est positionnée sur la cheville gauche.
La dérivation X est calculée à partir des électrodes A, C et I ; la dérivation Y à partir des électrodes F, M et H ; et la dérivation Z à partir des électrodes A, M, I, E et C.
Dérivations EASI
Le système EASI constitue une approximation satisfaisante de l’électrocardiogramme (ECG) conventionnel à 12 dérivations. Toutefois, il peut produire des tracés dont les amplitudes et les durées diffèrent de celles enregistrées avec un ECG standard à 12 dérivations. Ce système est obtenu en plaçant les électrodes I, E et A selon les dérivations orthogonales de Frank, et en ajoutant l’électrode S au niveau du manubrium sternal. L’EASI permet également d’obtenir des informations orthogonales complémentaires. Voir figure 22.