Conduction ventriculaire aberrante (aberrance ventriculaire, aberration de conduction)
Conduction ventriculaire aberrante (aberrance ventriculaire, aberration de conduction)
L’aberration de conduction n’est pas un mécanisme d’arythmie, mais un trouble de la conduction ventriculaire. Elle est abordée dans ce chapitre car ce phénomène est fréquemment observé au cours des arythmies. Comme indiqué précédemment, toutes les cellules cardiaques – qu’il s’agisse des cellules du système de conduction ou des cellules myocardiques contractiles – doivent subir une repolarisation rapide afin de redevenir excitables lorsque survient le potentiel d’action suivant. Si l’un des éléments du système de conduction ventriculaire n’est pas complètement repolarisé au moment où l’impulsion suivante atteint les ventricules, celle-ci sera bloquée à ce niveau. La durée de la période réfractaire varie en fonction de la fréquence cardiaque : elle se raccourcit lorsque la fréquence augmente et s’allonge lorsque celle-ci diminue. Ainsi, les cycles longs (longs intervalles RR) sont associés à des périodes réfractaires prolongées, tandis que les intervalles RR courts correspondent à des périodes réfractaires plus brèves. Une conduction aberrante survient lorsque la durée du cycle cardiaque se modifie sans ajustement compensatoire de la période réfractaire, phénomène lié aux variations de réfractarité du système de His-Purkinje en fonction des changements de l’intervalle RR.
La figure 1 illustre un battement auriculaire prématuré entraînant une conduction ventriculaire aberrante. Un battement auriculaire prématuré correspond à une dépolarisation supplémentaire, inattendue, générée par un foyer ectopique situé dans les oreillettes. L’impulsion prématurée atteint le système de His-Purkinje de façon anticipée, alors que certaines fibres sont encore en période réfractaire. Dans l’exemple présenté (figure 1), elle rencontre une branche droite du faisceau de His encore réfractaire, ce qui conduit à une activation ventriculaire présentant la morphologie d’un bloc de branche droit. Cet exemple illustre comment les variations de la durée du cycle cardiaque peuvent induire des aberrations de conduction.

En pratique clinique, l’aberration de conduction est fréquemment observée chez les patients présentant une fibrillation auriculaire, en raison de la rapidité et de l’irrégularité du rythme, caractérisées par des intervalles RR très variables. Voir figure 2.
L’aberration peut survenir dans trois contextes distincts, tous en rapport avec des modifications de la durée du cycle cardiaque :
- Dépolarisation ventriculaire prématurée : Comme l’illustre la figure 1, si l’influx auriculaire atteint prématurément le système de His-Purkinje ventriculaire, alors que les fibres de conduction sont encore en période réfractaire, il peut être bloqué. Cette situation est observée aussi bien chez des sujets sains que chez des patients présentant une cardiopathie. Lorsque cette aberration survient à une fréquence cardiaque normale (< 100 bpm), la morphologie du QRS correspond le plus souvent à un bloc de branche droit. En revanche, à des fréquences cardiaques plus élevées, la morphologie est plus volontiers celle d’un bloc de branche gauche. Néanmoins, indépendamment de la fréquence cardiaque, la morphologie de bloc de branche gauche est plus fréquente chez les patients atteints de cardiopathie. Le bloc de branche alternant (droit et gauche, d’un battement à l’autre) demeure rare.
- Phénomène d’Ashman : Cette aberration de conduction survient lorsqu’un intervalle RR prolongé est immédiatement suivi d’un intervalle RR raccourci. L’allongement initial de l’intervalle RR prolonge la période réfractaire des fibres de conduction, de sorte que l’impulsion prématurée suivante rencontre un tissu encore partiellement réfractaire. Le phénomène d’Ashman se caractérise donc par la succession d’un intervalle RR long puis d’un intervalle RR court (figure 2). Les battements ainsi produits présentent typiquement une morphologie compatible avec un bloc de branche droit.
- Accélération soudaine de la fréquence cardiaque : Lorsqu’une accélération brutale du rythme survient, les branches du faisceau de His peuvent ne pas être en mesure d’adapter rapidement (c’est-à-dire de raccourcir) leur période réfractaire. L’aberration de conduction peut persister si la fréquence cardiaque se maintient à un niveau élevé, mais elle disparaît généralement lorsque le système de conduction His-Purkinje parvient à ajuster sa période réfractaire. Si l’accélération se produit à des fréquences cardiaques relativement basses, le complexe QRS aberrant adopte le plus souvent une morphologie de bloc de branche droite. En revanche, lorsque l’augmentation de fréquence est plus marquée, la morphologie observée est typiquement celle d’un bloc de branche gauche.
La majorité des battements aberrants présente une morphologie de bloc de branche droit, en raison de la période réfractaire plus longue de la branche droite du faisceau de His aux fréquences cardiaques normales. Une aberration peut également survenir au niveau de l’un ou l’autre des fascicules de la branche gauche (fascicule antérieur ou postérieur). L’observation d’une morphologie de bloc de branche gauche à une fréquence cardiaque normale suggère fortement l’existence d’une cardiopathie sous-jacente.
Différencier les aberrations de conduction des complexes ventriculaires prématurés.
Les battements aberrants peuvent être difficiles à distinguer des complexes ventriculaires prématurés, mais une analyse attentive permet généralement de les différencier. Dans la figure 1, la présence d’une onde P précédant le battement aberrant confirme l’origine supraventriculaire de l’impulsion ; l’élargissement du complexe QRS est alors attribuable à un phénomène d’aberration de conduction. À l’inverse, les complexes ventriculaires prématurés ne sont habituellement pas précédés d’ondes P (sauf coïncidence fortuite) et surviennent plus fréquemment que les battements aberrants. Ces derniers présentent une morphologie typique de bloc de branche, caractéristique absente dans les complexes ventriculaires prématurés. De plus, les battements aberrants ne s’accompagnent pas d’une pause compensatoire complète (voir discussion ultérieure), contrairement aux complexes ventriculaires prématurés.